Les grands projets (supérieurs à 10 000 J/H), qu'ils aient
pour finalité un changement de système d'information ou une fusion, ont en
commun plusieurs caractéristiques. Le " traumatisme" subi par les
ressources de l'entreprise est l'une d'entre elles. Il est nécessaire de
l'appréhender et de l'accompagner.
La
ressource humaine, dans un grand projet, n'est pas, la plupart du temps, bien
prise en considération. Le pilotage de ces projets est généralement axé sur les
éléments factuels : charges, délais. Nécessaires, ces derniers ne sont pas
suffisants et peuvent provoquer une mise en risque du projet (échec technique
ou rejet violent par l'entreprise). Réussir le pilotage d'un grand projet, ce
n'est pas maîtriser tel ou tel axe ponctuel d'analyse (délai, coût…), mais
c'est parvenir à harmoniser les différentes composantes du projet dans un
rythme commun et partagé. Le risque humain comme facteur de réussite ou
d'échec est réel. Ainsi, un projet d'entreprise de 30 000 J/H, découpé en
sous-projets et lots à taille humaine, mobilisera environ une centaine de
personnes durant 2 ans. Les conséquences majeures liées au risque humain sont
un enlisement (syndrome de Sisyphe), une diabolisation (peur des impacts sur
son emploi) et un rejet pur et simple du projet par les collaborateurs
(incompréhension des objectifs stratégiques, perte de la compétence métier…).
Comment éviter ou gérer
ces problèmes ?
En
fait, la meilleure gestion de ce facteur de risque tient en deux attitudes
complémentaires : anticiper et accepter de gérer ces problèmes.
L'anticipation :
Les
besoins en ressource des grands projets nécessitent une mobilisation, au sein
de l'entreprise, d'acteurs non professionnels du mode projet. Pour ces acteurs,
passer du rythme du quotidien au mode projet correspond à un changement de
paradigme très important et déstabilisant. La direction de projet se doit de
fournir de nouveaux repères aux différents acteurs, et ce, dès le début du
projet :
·
Un projet de
changement majeur (SI et/ou organisation) est forcément un projet
d'entreprise et doit être positionné comme tel dès le lancement des
premiers travaux.
·
La lisibilité
des éléments de plannings, d'organisation décisionnaire et aussi et surtout la
reconnaissance des interrogations et des incertitudes est capital pour
bénéficier d'une adhésion massive de l'entreprise. La communication initiale
est très sensible. Elle se doit d'être réaliste avant même d'être rassurante.
Dès le départ, les acteurs doivent avoir confiance et doivent pouvoir se lancer
avec sérénité dans leurs nouvelles taches.
·
Sauter dans
l'inconnu n'est pas une disposition d'esprit naturelle. Aussi, les engagements
de la direction sur l'avenir de chaque personne doivent être émises
personnellement dès le départ, sachant qu'il est préférable de promettre moins
mais de s'y tenir.
·
Au cours de la
vie du projet, la masse des travaux à conduire est très importante. " Sur
un projet, on travaille beaucoup, donc il faut beaucoup se reposer ! ".
Les jours de congés et de récupération sont incontournables et surtout
indispensables. La concentration obligatoire des congés sur des périodes
définies permet de limiter leur impact sur l'avancement du projet. Ainsi,
mettre en sommeil un projet du 14 juillet au 15 août aura un impact limité et
concentré sur 5 semaines au lieu de s'étaler sur 2 à 3 mois selon les habitudes
de chacun. Ces dispositions sont à généraliser à l'ensemble des acteurs,
internes ou externes.
·
Sur chaque
projet, il est possible d'identifier des acteurs. Nous parlons de ressources
rares lorsque ces acteurs possèdent un savoir non partagé et souvent non
écrit, et de ressources critiques lorsque ce savoir est assorti d'un
pouvoir au sein des circuits de décision. Dès l'identification de ces
ressources (internes ou externes), il est indispensable de leur fournir un
support ou une assistance (même et surtout si la charge de travail ne le
justifie pas) afin d'agir en véritable " aspirateur à savoir " et de
diluer le risque sur plusieurs têtes.
Le
bon dimensionnement et le renforcement des équipes permet également d'assurer
la transmission du savoir et de l'expertise lors du démarrage et de la
fin du projet. En effet, à l'issue du projet, l'expertise incontournable réelle
ne sera détenue que par moins de 20 % des intervenants, et pour la plupart
externes (faculté d'adaptation et d'apprentissage supérieure). Cette
compétence, cette expertise disparaîtra rapidement à l'issue de l'opération de
bascule (ou mise en production) et laissera une entreprise démunie face à une
situation qu'elle ne maîtrise pas complètement et dont elle ne mesure pas tous
les impacts.
L'acceptation du facteur risque humain
Le
facteur de risque humain sur un projet n'est pas issu d'une mauvaise méthode ou
d'une mauvaise gestion. Il est présent et systématique. L'une des principales
dispositions d'esprit d'une équipe de direction de projet est donc d'accepter
l'existence de ce risque et d'accepter de le gérer. Le premier élément
d'acceptation de ce risque est sa prise en charge au plus tôt. Les instabilités
psychologiques des acteurs d'un projet se retrouvent dans les attitudes et le
comportement quotidien de chacun. La mise en place d'un véritable "
observatoire comportemental " consiste à être à l'écoute d'un certain
nombre de " capteurs " tels que :
·
la mesure de
l'absentéisme ;
·
la mesure du
sur-présentéisme (sur-présence sur le lieu de travail sans justification);
·
les horaires
anarchiques (travail de nuit ou en week-end sans obligation factuelle) ;
·
la gestion des
agendas, du " stock " sur le bureau…
Le capteur ultime est l'épuisement physique et moral des personnes (pouvant
aller jusqu'à la dépression nerveuse). Au final, les acteurs projets voudront
" en finir " avec ce projet, quelles qu'en soient les
conséquences pour l'entreprise lors du démarrage. Bien sûr, ces capteurs ne
sont ni exhaustifs, ni formels. Il convient essentiellement d'identifier les évolutions
comportementales de chacun des acteurs lors des différentes phases du
projet afin d'identifier les dérives.
Au-delà
des aspects économiques, techniques et financiers d'un projet, l'enjeu
véritable est la capacité des hommes en place à sortir du mode projet. La
réussite d'un projet de changement (de SI ou d'organisation) n'est effective
que lorsque l'entreprise a trouvé un nouvel équilibre en harmonie avec les
acteurs du quotidien.
Philippe
Plancheron
Solutions
Tertiaires
Octobre
2004
©
P2H Conseil